Psychotropes et motivation

© Dr Joël Dehasse

Médecin vétérinaire comportementaliste
Version 1 du 18 janvier 2003

Table des matières

Introduction

Il y a deux façons d’envisager ce thème. La première façon qui serait ‘motivation et psychotropes’ est de voir en quoi la motivation des différents éléments du système thérapeutique influence la possibilité d’utiliser des psychotropes sur l’animal. La deuxième façon qui serait ‘psychotropes et/de la motivation’ est de voir en quoi les psychotropes peuvent modifier la motivation du sujet sous traitement psychotropique et son environnement.

Définition

Qu’est ce que la motivation ?
L'étymologie nous renvoie au latin ‘motivus’ qui signifie mobile, suggérant ainsi l'idée de mouvement; la motivation est donc ce qui pousse un individu à agir. La motivation est une force qui pousse l’individu à l’action vers un certain but.
La finalité du comportement est de peu de conséquence pour la définition, il s’agit toujours d’un rétablissement de l’équilibre suite à un déséquilibre causé par un besoin, un désir, une pulsion, etc.
Il y a des motivations primaires (ou attentes) et une motivation globale (somme des motivations primaires). La motivation (globale) est la somme des attentes (chaque attente étant affectée d’une valence ou valeur propre). Il y a une corrélation entre performance et motivation, sans forte causalité de la motivation sur la performance, cette dernière dépendant étroitement des compétences (capacités) personnelles. En fait la motivation semble améliorer les performances des individus peu compétents et semble affecter relativement peu celle des individus compétents ; elle met tout le monde au même niveau, sans augmenter les capacités réelles.
Il y a des motivations intrinsèques (émotions, cognitions, etc.) et extrinsèques (stimuli déclencheurs, facteurs de renforcement, etc.). Ces motivations sont organisées dans une hiérarchie : le maintien de l’homéostasie (et survie) domine les motivations de désir qui, elles, dominent les motivations de plaisir. Par exemple, les motivations de jeu sont dominées par les motivations de survie et ne peuvent s’exprimer que lorsque les motivations de survie sont inhibées (satisfaites, c’est à dire à satiété). Mais certaines motivations changent de valence en fonction de l’état interne et de l’environnement : en cas de désir sexuel, un chien mâle peut rester insensible à la faim pendant plusieurs jours ; on dira que la motivation sexuelle supplante la motivation de manger ; néanmoins il ne met pas sa survie en danger ; en effet un jeûne prolongé réduit la motivation sexuelle et augmente la motivation à manger.
Quel que soit le sens, la motivation est une force (une énergie) qui incite et facilite l’action.

 

Motivation du système thérapeutique et psychotropes

Pour pouvoir prescrire un psychotrope, il faut l’accord du système thérapeutique et de chacun de ses éléments ou, au moins, de ses éléments décideurs. Qui sont-ils ? Les propriétaires, le/la vétérinaire, l’animal.

 

Les propriétaires

Les propriétaires ont différentes raisons pour résister ou refuser l’administration de psychotropes (allopathiques) à l’animal. En effet le rejet se fait le plus souvent pour un médicament allopathique et non pour un médicament phytothérapeutique, homéopathique, aromathérapique, etc.

  • Culture : Suivant leur culture, suivant leur histoire personnelle, les propriétaires sont plus ou moins enclins à accepter d’administrer des psychotropes à leur animal. La culture germanique (Allemagne, Suisse allemande, Autriche), par exemple, est très écologique et très résistante à l’administration de psychotropes aux animaux de compagnie. La culture française est plus favorable.

  • Profession : Les professionnels non-vétérinaires du chien résistent aussi à l’administration de psychotropes.

  • Histoire personnelle : Toute personne qui a vécu (personnellement ou par procuration [parent, ami,…]) des effets secondaires négatifs ou un état de dépendance d’un psychotrope peut résister à l’administration de médicaments à son animal.

  • Orientation thérapeutique : Les fanatiques des médecines douces peuvent refuser l’administration de psychotropes allopathiques à leur animal. Ils préféreront l’utilisation de médications homéopathiques, de fleurs de Bach, etc. même si celles-ci ont des effets psychotropiques.

  • Orgueil de sur-compétence ou peur de l’expression d’une faiblesse, les psychotropes étant souvent associés en psychologie populaire à la faiblesse de volonté.

  • A priori : souvent les clients croient que la médication est une camisole chimique (sédative) et risque de réduire la longueur de la vie de l’animal.

Faut-il argumenter face à ces résistances ? Et si oui, comment ?
Si la conviction du thérapeute est faible, il peut proposer le psychotrope et dire ce qu’il en attend au niveau action et durée d’action et facilitation éventuelle des thérapies. Une fois la situation bien claire pour les propriétaires, il leur laissera le choix décisionnel (si possible dans un cadre temporel fixé).

Si la conviction du thérapeute est qu’il faut un médicament, pour diverses raisons (entre autre pour garantir le bien-être animal et sa santé mentale et faciliter ses capacités d’adaptation), il faut qu’il argumente. Le terme argumenter n’est peut-être pas le meilleur ; il convient d’enlever ou amoindrir les résistances.

  • Logique. Le thérapeute peut utiliser des arguments logiques et démontrer par A + B la nécessité d’un psychotrope. Cette technique est efficace avec des propriétaires sensibles aux arguments logiques et elle est inefficace avec ceux qui marquent une résistance émotionnelle (le cas le plus fréquent).

  • Autorité et chantage. Le thérapeute peut affirmer qu’il ne voit aucun moyen de soigner sans l’utilisation de psychotropes : c’est un psychotrope ou rien ! L’efficacité de cette technique dépend de l’assertivité du thérapeute et de sa renommée. Et si le propriétaire refuse l’administration malgré tout, il est dans un challenge de démontrer que la thérapie est efficace malgré l’absence de médicament. Le vétérinaire gagne à tous les coups.

  • Emotion. Le thérapeute peut faire appel au désir d’amour des clients afin qu’ils prennent en compte le bien-être de leur animal, bien-être plus garanti avec psychotrope que sans. Cela peut aller jusqu’au chantage affectif du genre : « si vous aimez votre chien, il faut lui donner un médicament… ».

  • Métaphore. La plupart des  clients qui refusent d’administrer un psychotrope à leur animal sont eux-mêmes sous psychotropes : café, thé, alcool, tabac, etc. Je n’hésite pas à affirmer que ces psychotropes quotidiens et cachés sont plus nocifs à la santé et entraînent plus d’effets secondaires que les psychotropes prescrits à l’animal. Cet argument est souvent favorable.

  • L’identification. Le « si c’était mon chien, chat, …, je le traiterais avec psychotrope » est souvent efficace parce que même si un spécialiste (malgré ses compétentes éducatives ou thérapeutiques imaginées) doit recourir à un psychotrope, c’est que le cas le nécessite. C’est un autre argument d’expert auquel le client peut faire confiance dans une relation thérapeutique de confiance.

 

Le vétérinaire

Le vétérinaire est souvent le premier à résister à la prescription de psychotropes. Quelles en sont les raisons et quelles solutions puis-je leur proposer ?

  • Méconnaissance. Le thérapeute connaît souvent mal les médicaments qu’il doit prescrire. Il doit déterminer une façon aisée de prescrire et, sans doute, se limiter dans le nombre de médicaments prescrits.

  • Inexpérience. Ce n’est qu’avec de nombreuses répétitions (plusieurs centaines) que l’on arrive à maîtriser la prescription des psychotropes en se faisant une idée statistique des effets primaires et secondaires et, surtout, de la tolérance des effets secondaires par l’animal et les propriétaires. Le vétérinaire peut se donner plus de tolérance en annonçant à l’avance ce qui peut se passer y compris les hypersensibilités de certains animaux et l’imprévisibilité du matériel biologique, tout en rassurant les clients par sa présence permanente en cas de problème (qui d’ailleurs ne sera jamais fatal).

  • Culture et éthique. De par sa culture et en raison de son éthique médicale, le vétérinaire peut hésiter à prescrire un médicament pour des animaux qui ne sont pas réellement atteints d’une pathologie mais qui créent des nuisances à leurs propriétaires par le non-respect de leurs conditions écologiques et de leur éthogramme : chiens de lignées de chasse tenus exclusivement en laisse par des personnes handicapées, chats harets maintenus en appartement hypostimulant, etc. Nombreux sont encore les professionnels qui estiment, à tort, que l’environnement social dans lequel vit l’animal est à l’origine de la majorité de ses problèmes. On peut envisager que le replacement de ces animaux soit une meilleure solution que leur médication, cependant la médication pourrait être une alternative de choix à l’euthanasie.

  • Peur de la non-motivation du client. Il est certain que dans une dynamique de non-changement, le propriétaire qui est satisfait des effets d’une médication sera peu enclin à s’engager dans des thérapies comportementales et environnementales lourdes de changement pour lui !

  • Peur ou  croyance que l’on induit des troubles somatiques, tels que dégénérescence hépatique, etc.

  • Influence des leaders d’opinion. Suivant l’obédience que l’on a ou l’école que l’on suit, et à défaut d’études scientifiques, l’avis des leaders d’opinion (y compris les professeurs d’université ou des personnes médiatisées qui ne connaissent rien à la spécialité) prévaut. Si leur avis est négatif, s’ils le clament fort et sont intolérants des critiques, il est d’autant plus important de le suivre avec crédulité.

 Acquérir une confiance dans l’effet prévisible des psychotropes nécessite une grande expérience.

 

L’animal

J’ai l’habitude désormais, avant de médicamenter un chat ou même quasiment en début de consultation de comportement avec un chat, de demander si le chat est ‘médicamentable’ ; le premier psychotrope prescrit pour le chat est celui qu’il pourra ingérer sans trop de contrainte et, surtout, sans détériorer la relation entre propriétaire et chat. Le problème se pose moins avec le chien qui dans plus de 7 cas sur 10 avale quasiment n’importe quoi, quelle que soit l’amertume du produit. La motivation de l’interface propriétaire-animal est donc un élément clé de la prescription de psychotrope. L’animal peut décider de toute l’orientation de la stratégie thérapeutique. La conviction du vétérinaire ne l’emporte pas sur la décision de l’animal, si l’animal ne peut avaler que X, inutile au prescripteur de se mettre en échec à prescrire Y ou Z.

 

Psychotropes de la motivation animale

Si je me rapporte à la définition du mot ’motivation’, je me dois de déterminer quels sont les psychotropes qui incitent et favorisent l’action (motivation) et, au contraire, ceux qui incitent et favorisent l’inaction (démotivation) chez l’animal. Les deux extrêmes sont indissociables.

Ce sujet est très simple. Suivant mon modèle sur les éléments psychobiologiques (psychels), le psychotrope agit à un niveau hiérarchique élevé au niveau du soma (organisme), de l’humeur, des émotions et des cognitions, l’étage même de la motivation.

Tous les psychotropes ont donc des effets motivateurs ou démotivateurs. J’insisterai ici sur l’aspect motivateur. 

Il existe des psychotropes motivateurs de façon générale et d’autres motivant de façon limitée et plus spécifique.

 

Modèle de mécanisme d’action

Motivateur général

Est motivateur général un psychotrope

  • activateur de l’ensemble des motivations 

  • inhibiteur de l’ensemble des démotivations

  • inhibiteur des motivations qui créent des blocages à l’action, telles qu’un état de dépression réactionnelle (syndrome post-traumatique, état cataleptique, …)

Motivateur spécifique 

Est motivateur spécifique un psychotrope

  • motivateur d’une fonction ou d’un psychel spécifique

  • inhibiteur d’une motivation de hiérarchie plus élevée, elle-même inhibitrice d’une motivation de hiérarchie plus basse : les motivations sont classées par hiérarchie de fonction, celles pour les comportements de survie étant hiérarchiquement plus élevées que celles pour les comportements de confort, et cette hiérarchie est sujette à des changements en fonction de la satisfaction des besoins.

 

Motivateur général

Outre les psychotropes motivateurs traditionnels et quotidiens utilisés par quasiment tout un chacun, tel que le café, le thé, l’alcool, et le tabac, il existe quelques molécules qui ont un effet motivateur général chez le chien et le chat aux posologies habituelles: ce sont la sélégiline, la miansérine et, dans une moindre mesure sans doute, la sertraline.

On doit ajouter à ces molécules celles qui ont des effets dit désinhibiteurs à faible posologie, c’est à dire les neuroleptiques antidéficitaires tels que par exemple la pipampérone, le sulpiride et le tiapride.

 

Motivateur spécifique

A côté des molécules à effet motivateur général, il existe des molécules à effet motivateur plus spécifique.

  • Motivateur sexuel : androgène, œstrogène, phéromones sexuelles

  • Motivateur de gestation : progestatif

  • Motivateur  de l’exploration générale, du jeu : sélégiline, miansérine, sertraline, alprazolam.

    • Motivateur de l’exploration par inhibition de l’inhibition et de l’échappement (peur) : sertraline, alprazolam, kava kava, …

  • Motivateur de l’agressivité générale: …

    • Par désinhibition du contrôle (social) des agressions : des posologies basses de pipampérone, sulpiride, tiapride, fluoxétine, citalopram, paroxétine, sertraline. 

  • Motivateur de l’appétit et de l’ingestion alimentaire : cyprotérone, miansérine, sélégiline, ...

    • Par inhibition de la motivation sexuelle : cyprotérone,

  • Motivateur du sommeil :

    • par activation du système de sommeil, par inhibition du système d’éveil, … : fluvoxamine, barbituriques, sertraline, …

    • par inhibition de l’hypervigilance anxieuse : alprazolam, sélégiline, etc.

  • Motivateur de l’apprentissage : sélégiline, fluvoxamine, sertraline, …

  • Motivateur du détachement (autonomisation) : clomipramine, psychotropes sérotoninergiques, etc.

  • Motivateur d’une fonction dominée/inhibée par une motivation compulsive (devenue prioritaire et dominante)

    • Démotivation d’une compulsion sexuelle : cyprotérone, psychotrope sérotoninergique, …

    • Démotivation d’une hyperphagie : fluoxétine, …

 Cette liste est exemplative et n’est pas limitative.

 

Psychotropes de l’animal et (dé)motivation des propriétaires

Une fois l’animal placé sous psychotrope, nous faisons face à deux situations : l’animal (ou sa symptomatologie qui est à la source de la demande) s’améliore ou ne s’améliore pas.

Si l’animal ne s’améliore pas, cela renforce les opposés de la médication, tant propriétaires que … vétérinaires. Je donne le conseil suivant aux vétérinaires débutant dans la prescription des psychotropes (ainsi qu’aux firmes qui mettent un psychotrope sur le marché): veillez à bien cibler les symptômes pour lesquels le psychotrope est prescrit et d’annoncer avec le plus de précision ce que l’on peut en attendre ; dans le cas contraire la déception tant du client que du prescripteur conduit à l’abandon du psychotrope.

Dans le cas de figure où le psychotrope est efficace, c’est à dire qu’il améliore la symptomatologie et qu’il améliore le bien-être de l’animal, le propriétaire peut réagir de deux façons :

  • Motivation à poursuivre l’ensemble de la thérapie

  • Démotivation de réaliser des thérapies non-médicamenteuses

 Dans le contexte habituel de « changer les symptômes mais ne me changez pas moi-même », de nombreux propriétaires sont satisfaits des améliorations dues à la médication et refusent de s’engager dans un processus qui leur coûte du temps et de l’énergie et de l’inventivité et de la compétence.

D’autres propriétaires, plus rares, sont encouragés à aller de l’avant par des résultats inespérés et décident de passer du temps dans l’investissement thérapeutique.

 

Conclusions

Travailler sur la motivation par l’utilisation de psychotropes est chose aisée, pour autant que l’on motive d’abord les propriétaires – et les vétérinaires - à administrer des psychotropes. J 

 

Références

 

© Dr Joël Dehasse - www.joeldehasse.com - 18/01/2003