Le développement de l'inhibition et de l'autorégulation physiologiques

Dr. Joël Dehasse, Bruxelles
Article chargé le 20 mars 97 - http://www.joeldehasse.com/a-francais/inhibition.html

 



Introduction

L'inhibition est le processus antagoniste de l'excitation. Elle est indispensable pour la régulation des comportements. L'inhibition est à la base de l'autorégulation, de l'autocontrôle.

Inhibition et séquence d'arrêt

L'inhibition est indispensable pour la régulation des comportements. C'est en effet elle qui permet de limiter la durée et l'intensité des actes comportementaux en produisant la 3ème partie de la séquence: l'arrêt de la phase “consommatoire”.
La phase d'arrêt - phase de satiété - termine une séquence comportementale. C'est une absence d'acte. Cette absence est fondamentale. Sans arrêt, le chien continuerait l'activité consommatoire.
L'exemple le plus commun est l'acquisition du signal d'arrêt et le contrôle de l'intensité de la morsure, ce que l'on nomme la morsure inhibée . Cependant, toutes les séquences comportementales doivent acquérir leur phase d'arrêt.

Inhibition et socialisation

L'inhibition est la clé de la socialisation et de l'habituation.
L'habituation (la diminution progressive de la durée et de l'intensité de la réponse de crainte en face d'un stimulus qui se répète) est basée sur l'inhibition physiologique. Elle permet à l'individu de ne pas réagir à chaque modification même mineure de l'environnement et d'éviter le développement des processus phobiques.
L'homéostasie sensorielle (l'autorégulation des émotions et des actions, déclenchées par des stimuli perçus par les sens) est une “syntonisation” précise sur base de mécanismes d'inhibition et d'activation physiologiques, en régulation permanente.
L'homéostasie sociale (et hiérarchique) se base sur les autocontrôles moteurs et émotionnels, notamment le contrôle de l'intensité de la morsure selon le contexte (jeu ou combat) et selon les réactions du vis-à-vis (domination - soumission - ambivalence). Cela n'est accessible que par l'apprentissage de la “morsure inhibée”.

Le développement de l'inhibition physiologique

C'est l'observation, principe de base de l'éthologie, qui nous permet de définir l'ontogenèse de l'inhibition physiologique.

L'acquisition de la morsure inhibée


Dès l'âge de 5 semaines, les chiots s'investissent dans des jeux de combat. Les dents de lait très pointues entraînent des morsures douloureuses. L'intensité des morsures est liée à l'excitation et n'est pas contrôlée.
Le chiot mordu crie, ce qui modifie la réponse du chiot mordeur. Il y a plusieurs conséquences.
  • Le chiot mordeur interrompt la morsure.
  • Le chiot mordeur n'interrompt pas la morsure. Dans ce dernier cas, il y a deux possibilités.
    1. Le chiot mordu retourne la situation à son avantage et mord le mordeur, qui crie.
    2. La mère intervient et corrige le chiot mordeur d'un grognement et, si nécessaire, d'une morsure..

Le chiot mordeur apprend à interrompre la séquence de morsure en fonction de stimuli extérieurs: cri du partenaire, punition maternelle.

L'acquisition du contrôle de motricité


Vers l'âge de 5 semaines, les chiots se lancent dans des jeux de poursuite. Plus tard, ils tentent des jeux de manipulation d'objets. Les objets sont explorés de la gueule. Il peut s'agir d'un jouet d'enfant ou d'une partie corporelle personnelle, celle d'un congénère ou encore de la mère.
La régulation des mordillements sur son propre corps est aisée, lorsque la sensibilité tactile et douloureuse est en place. Normalement, c'est le cas en fin de période de transition (vers l'âge de 3 semaines).
La régulation des mordillements sur les congénères ou sur la mère ou un autre adulte se fait comme dans l'apprentissage de la morsure inhibée.
La régulation des jeux de poursuite nécessite l'intervention correctrice d'un adulte . La mère, un autre chien adulte, l'éleveur ou l'acquéreur, doivent imposer une phase d'arrêt dans le jeu - par un grognement, une morsure, un pincement d'oreille, une claque. Cette correction doit s'accompagner d'un arrêt du comportement du chiot. Dans le cas contraire, la correction doit être répétée jusqu'à obtention d'un résultat.

Conditions obligatoires


Différents éléments sont indispensables pour une acquisition correcte des séquences d'arrêt:
  • la présence de la mère ou d'un autre adulte maternant/paternant dans le milieu de développement
  • la présence d'une fratrie suffisamment nombreuse
  • l'intervention correctrice de l'éleveur ou de l'acquéreur, pour suppléer les déficiences de la fratrie ou des parents.


Mécanismes neurobiochimiques de l'inhibition

L'inhibition et l'autorégulation étant des processus vitaux, leurs mécanismes neurobiochimiques sont nombreux.
  • Récepteurs présynaptiques inhibiteurs de la libération des monoamines.
  • Enzymes cataboliques ou inhibiteurs des neurotransmetteurs: mono-amine-oxydases
  • Systèmes de recaptage des monoamines
  • Neuromédiateurs strictement inhibiteurs: GABA, glycine.
  • Neuromédiateurs parfois inhibiteurs: les neurones à sérotonine des noyaux de la base sur les neurones à dopamine du striatum; les noyaux sérotoninergiques sur la sensibilité cutanée, ...
  • Système striato-nigropallidofuge (P. Pageat): sorte d'interrupteur cérébral comportant un neurone à dopamine striatal et deux à GABA, permettant d'inhiber l'activation spontanée des neurones moteurs. C'est ce système qui est mis en place lors de l'apprentissage du contrôle de la motricité.


Risques lors d'une insuffisance d'inhibition

Lorsque le signal d'arrêt ne s'acquiert pas, le chiot développe une pathologie comportementale nommée par P. Pageat: HS-HA , pour syndrome hypersensibilité-hyperactivité. Ce sont des chiens qui ne tiennent pas en place, jouent, sautent, courent sans arrêt. Leur activité (séquence d'actes) manque de phase d'apaisement (déstructuration). Souvent, ces jeunes chiens dorment moins que les autres.
L'absence d'inhibition (des processus d'habituation) engendre les différentes phases du syndrome de privation: phobies et anxiétés ontogéniques (liées au développement). L'absence de régulation sociale est une des caractéristiques de la dyssocialisation primaire. De nombreuses insuffisances d'autorégulation sont à la base des syndromes impulsifs.

Prévention

Apprentissage par les acquéreurs


L'adoptant doit imposer au chiot
  1. des arrêts au cours des jeux
  2. des jeux d'autocontrôle
  3. une inhibition de la morsure
Arrêts au cours des jeux

le chiot doit être stoppé, maintenu en position couchée entre les jambes du propriétaire ou attaché au milieu du groupe social indifférent.
Jeux d'autocontrôle

P. Pageat a proposé le jeu suivant.
  1. Jet d'une balle. Le chiot prend la balle en gueule et la ramène. Il refuse de la rendre. Il préfère qu'on la lui arrache de la gueule. Le jeu s'arrête. Le propriétaire devient indifférent.
  2. Dès que le chien, lassé, lâche la balle, le propriétaire la ramasse, s'enthousiasme, attire le chiot et jette la balle. Le jeu reprend dès lors comme en (1).

Ce jeu est assez lassant au départ, mais plus amusant dès que le chien apprend le comportement de lâcher de la balle. Ce jeu a l'avantage d'apprendre au chien un comportement nouveau. C'est une agréable alternative aux punitions des comportements inacceptables.
Inhibition de la morsure

La peau humaine étant plus fragile que la peau du chien, l'acquéreur d'un chien à vocation de compagnonnage doit inhiber la morsure de façon très importante.
  • Interdire les jeux de mordant, les tractions sur des objets.
  • Lors de morsure, pousser un cri. Si ce cri n'arrête pas le chiot, pincer le chiot au niveau du cou, du museau ou des oreilles. Le chiot pincé doit pousser un "kaï". Sans douleur, il n'y aura pas d'arrêt. Cette punition est temporaire, puisque bien vite le cri suffit à empêcher la persistance des mordillements.


Références
Dehasse J (1994): Sensory, emotional and social development of the young dog , BVCE, 2 (1/2) (September 1994), 6-29 (ill.) - Epigenèse sensorielle, émotionnelle et relationnelle du chiot , Cahiers d'Ethologie, Liège, 12 (4) 443-466. [Voir à ce sujet l'article sur le développement comportemental du chiot, en français ou en anglais (article complet)]
Pageat (1995): Manuel de pathologie comportementale canine , Le point Vétérinaire, Paris.

Dr Joël Dehasse
Médecin vétérinaire comportementaliste
www.joeldehasse.com